Le jaune
C'est l'histoire du mec qui a l'air de rien. Le type que personne ne prend au sérieux, même pas lui.
Dans la grande imagerie du Tour de France on a besoin de seigneurs, d'Aigles des Asturies ; ou de grand chefs, des entêtés durs au mal, le Blaireau ; ou des stratèges, Anquetil, Armstrong...
On n'a pas besoin de Voeckler. Pourtant il est là. Il déchaine même une vraie voecklermania, aussi puissante que le raz de marée des Pokemons.
Ah ! Le bon vieux tsunami japonais, toujours un immense succès.
On a pour lui la même sympathie que pour les Pokemons, et puis on en prend soin, tout le monde s'inquiète de sa santé, c'est notre petit Tamagoshi.
Et le fait qu'il soit en jaune n'influe en rien ces comparaisons japonisantes.
Moi ça me fait plaisir. C'est mon côté franchouillard franchement franc. C'est l'énorme avantage d'être une nation qui ne peut pas se reconnaître dans un physique. La suédoise par exemple est toujours grande blonde avec une poitrine raisonnable ; l'aryen a laissé des traces en Allemagne ; le type norvégien se confond souvent avec le danois ; l'italien est gominé ; etc.
Le français est moyen. Il n'est même pas malin. Il ressemble à rien. C'est ce qui en fait un perdant généreux.
Le type qui n'a l'air de rien revient à la mode aussi fortement que l'identité française. La banalité et la faiblesse de Voeckler satisfont la fierté nationale en démontrant que la nullité peut aussi gagner.
C'est un orgueil à deux couches. Le cocardisme d'un français en jaune. La conviction profonde d'être un peuple nul.
Dans sa version petit blanc banal. Paradoxalement les noirs et les arabes et les italiens et les polonais de notre équipe de France adorée furent toujours admirés pour leur exotisme. Le vrai français Deschamps était laid comme un pou.
La particularité de se mépriser, de se trouver moche et nul, et d'en fonder une identité.
L'esprit des peuples est un sujet passé de mode, le peuple même n'existe plus. Quand on voit le bruit que peut provoquer la simple allusion à la stupidité d'un défilé militaire, on se demande.
Opposons esprit des peuples et identité. Voeckler c'est l'esprit d'un peuple. Ce truc entre moquerie et affection, entre nullité et révélation. L'esprit du peuple de France c'est donc de ne pas en avoir, de se contenter de ce qu'on lui donne et le plaisir de ne pas être où on l'attend. En sport c'est flagrant : on perd favori et on gagne outsider.
Alors définir une identité devient vachement compliqué. Parce que décemment on ne peut pas dire que son identité c'est de refuser d'en avoir.
Quant au défilé, le jour où on mettra l'arrivée du Tour de France le 14 juillet ça mettra tout le monde d'accord. Ça ne sera plus la légion étrangère qui défile pour l'honneur de l'armée française, mais un beau maillot jaune étranger, espagnol au nez aquilin de préférence, et toute une ribambelle de maillots aux marques bigarrées, le tout dans le plus parfait désordre de l'internationale libérale du cuisseau charnu.
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