Le retour du flash-back

Philippe Bernat-Salles est mon héros.
C'est l'élégance sans égale de la stratégie de l'évitement ; ailier finisseur il enrobait les défenseurs d'un cadrage débordement caressant, son corps bougeant la beauté comme un éventail un souffle d'air.
Et surtout il avait les cheveux poivre et sel. Gris. Disons blanc.
Il portait cette parure de vieux avec la majesté d'un Jean Marais, vieux.
Cette apparition blanche le faisait sans âge ; ce contraste saisissant d'un type âgé dans un monde de jeunes. Mon grand père en boum. Car dans le sport il n'y a pas de vieux, des gens avec de l'expérience au mieux.
C'est « L'âge de Cristal », on exécute passé trente ans pour limiter la surpopulation. Le sport, c'est le malthusianisme tardif.
Si bien que l'intemporalité de Philippe Bernat-Salles l'a rendu inoubliable.
Je viens de croiser une brochette de boudins quémandant de fausses aumônes sous le prétexte d'un enterrement de vie de jeune fille. Le rituel, en ce qu'il fige un moment dans sa plus simple obligation, est déjà pénible quand il repose sur la tradition. Mais quand il repose sur la seule prétention de se fabriquer des souvenirs, il est juste à vomir.
Et la beauté étant chose subjective, je n'ai jamais vu que des laiderons dans ces enterrements. Le boudin n'a pas une vie inoubliable, à moins d'être pur porc.
Philippe Bernat-Salles n'est pas un souvenir fabriqué.
D'ailleurs qui se souvient de lui ?
Philippe Bernat-Salles est mon héros, parce que son nom est un sésame. Le rugby est un sport de spécialistes ; il y en a toujours un pour vous dire que vous n'y connaissez rien ; toujours un pour avoir shooté dans un ballon ovale ; toujours un ancien joueur pour vous faire passer pour un con.
C'est alors qu'au détour de la conversation, sans y toucher et sans insister surtout, vous lâchez : Bernat-Salles.
(Etouffez la fin du premier mot, car personne ne sait vraiment comment ça se prononce ; effet garanti.)
Aussitôt le silence se fait, les yeux vaquent dans le ciel et la lumière de la nostalgie qui permet de baiser n'importe quel sceptique s'allume dans le ciel (ou le plafond).
Répétez ensuite ce que je vous ai raconté, en insistant sur les nuances étranges, ni blanc ni gris, de sa chevelure.
Le miracle s'opère, vous entrez dans la grande confrérie des Spécialistes de rugby.
C'est ça être inoubliable ! C'est autre chose que des souvenirs de vie de garçon où on fait n'importe quelle imbécillité pour se faire croire que l'exceptionnel restera gravé dans le marbre.
Avec vos récits d'enterrement vous n'entrerez jamais que dans l'immense confrérie des imbéciles.
Philippe Bernat-Salles n'est qu'un nom. Le grain de mémoire qui fait que, parfois, il est agréable de ne pas être amnésique.

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Des mirettes

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