Le rêve de Méliès
Ils sont beaux, leur casque profilé fendant l'air.
Leur petit guidon plat pour se coucher bien au ras du cadre.
Et le maillot moulant. On les dirait en acier.
Ce qu'il y a de plus beau c'est cette ressemblance avec le métal. Et cette organisation si aérodynamique des contre la montre par équipe.
Quand le premier à fini de jouer son rôle de torpille, il s'envole. Il se met sur le côté et devient aussi léger qu'une plume. Il stationne quelques instants en apesanteur puis reprend sa forme en se glissant en queue de queue leu-leu.
C'est une mécanique à fendre l'air.
Jamais autant que dans le cyclisme l'homme et la machine n'ont fait un. On voit l'un et l'autre. On voit l'un s'encastrant dans l'autre. L'autre s'enfonçant dans la chair.
Le cycliste est sa machine. Sans elle il est ridicule. Regardez les sur les podiums : leur démarche de canard claudicant, leurs cuisses partant dans le zag et leurs mollets dans le zig. Ils ne tiennent pas debout.
Une ankylose après l'effort ? L'épuisement ?
Ou ces chaussures aux cales pieds intégrés avec lesquelles il est impossible de marcher dignement ?
D'autant plus que, lorsqu'ils s'en débarrassent, c'est pour se présenter avec des tongues qui sont la fin de toute dignité humaine.
Sans sa machine le cycliste est un être pathétique au bronzage improbable : un monstre de foire.
Ajoutez à ça que la musculature développée pour le vélo ne sert à rien pour marcher ou faire quoi que ce soit d'utile. Son corps est tout entier façonné par le vélo, il en est presque la réplique, une sorte de mimétisme qui mène à l'atrophie.
Jamais le rêve de l'homme moderne n'a été autant approché : non pas l'homme-machine, mais l'homme qui fait corps avec la machine, la greffe de la machine dans le corps de l'homme mais aussi la greffe du corps dans la ferraille. L'un et l'autre imbriqués dans une fusion érotique pour créer un surhomme.
Une existence commune obligatoire ; l'un sans l'autre ils sont ridicules, inertes ou expulsés du monde des humains.
Le rêve de Méliès était celui de cette modernité capable de nous emmener si vite et si loin qu'on en atterrirait sur la lune. Avez-vous remarqué comme sa fusée ressemble si bien à un obus ?
Le rêve de l'homme moderne a du plomb dans l'œil. Plus personne n'y croit à cette greffe. Et moi non plus. Et les vélos avancent toujours moins vite que les Deux Chevaux.
Le spectacle du Tour de France a ça de désuet, c'est un rêve mort ; j'ai vu hier un type se promener avec sa selle à la main, il avait cet air penaud des gens qui ne trouvent aucune place où s'assoir à une table de restaurant.
Pédalez ferme avec leprefet@lembobineuse.biz