Le geste de trop
Les choses peuvent s'arrêter brutalement. Une maladresse, une erreur, une défaite, plus généralement une blessure, mettent fin à une carrière.
Marie Pierce se brise le genou sur le court central de Roland Garros. La machine se casse et reprend ses droits de machine.
L'inénarrable coup de tête de Zidane met un point final. Il part dans la honte assumée.
C'est un bras d'honneur aux fausses règles implicites, aux valeurs que l'on veut à toute force faire véhiculer par le sport. À l'heure de tirer sa révérence il montre, très simplement, ce qu'il pense de tout ça.
À propos de bras d'honneur il y eut celui de Cédric Pioline au public français de Bercy. Hélas pour lui, c'était au début de sa carrière. Un long tunnel commençait, celui du rachat.
Les victoires, les finales, les Coupes Davis, sa place incontestée de numéro 1 français, rien n'y fit. De ce joueur qui pouvait ainsi se révolter, il ne reste rien. On l'a oublié aussi vite que d'autres sont arrivés, les Grosjean et Clément, vers qui allèrent toute notre affection malgré la médiocrité des résultats.
La révolte du corps ou de l'esprit n'a pas sa place dans ce monde là. Elle n'a peut être sa place nulle part.
Il devint poli, il eut la délicatesse de bâtir son palmarès hors de France, dans des tournois qu'il est quasi impossible de voir à la télé. Le rachat se fait en l'occurrence par la victoire, faute de talent, il le fit par l'anonymat.
Sa carrière a cessé avant de commencer. Même les joueurs les plus médiocres voient un début et une fin ; Pioline dut continuer avec une fin de non recevoir.
Il joua sans exister, il gagna sans laisser de trace, il perdit sans jamais prendre sa chance. Il aurait sans doute dû disparaître de son propre chef, casser la machine et sortir du cercle. Mais le rachat est une autre machine, sans fin celle là, mêlant l'idéal et l'utopie et que l'on fuit aussitôt qu'on l'a atteint.
Je vois parfois sa grande raquette tourner au bout de son bras en moulinets incompréhensibles, et manquer la balle. Si souvent ça lui arriva. S'il avait été adoubé par le public, il ne se serait sans doute pas trompé de cible et se serait occupé de gagner. Mais il jouait en regardant derrière ; l'épée sur son épaule refusa toujours de tomber, mais lui trancha le bras.
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