Louis XVI en short
Le rugby ça use les cervicales.
Tous mes amis qui ont joué me le confirment. Le verdict du médecin est sans appel : ne jouez plus ou ce sera la chaise roulante, sinon vous allez très bien.
Mes amis sont des amoureux du rugby, alors, bien qu'épais comme des fifres, ils jouent talonneurs. Ils sont au centre du jeu et risquent à chaque instant d'être décapités.
La maladie professionnelle du rugby c'est la décapitation.
C'est pourquoi les crinières se portent haut chez les rugbymen. Il en est deux qui se sont extraient du pack, celle de Chabal et celle de Jean-Pierre Rives.
Je me souviens seulement de ce match à Auckland où la France battit pour le première fois les Blacks chez eux. Il y avait du sang.
Rives avait été enturbanné à la hâte, le sang dégoulinait encore, ses cheveux étaient collés, sa tignasse ressemblait à une serpillière. Et les maillots étaient blancs.
La tête était prête de tomber, mais ça se battait encore. C'était comme si on avait été au cœur d'une des batailles d'Alexandre, celles du temps où on s'égorgeait de près et où on laissait pendre du crin de cheval le long de son casque pour se protéger la nuque, c'est ce qui se coupe le plus difficilement.
J'admire les gens capables de poser leur tête sur le billot et qui peuvent encore courir comme des poulets quand on leur a coupé le cou.
J'admire le sang. Mais on n'y a plus droit. On arrête le combat au premier saignement.
Du coup ils ne courent plus comme des poulets. Ils n'ont plus ce petit air affolé de moustiques sous une lampe, ce regard perdu qui semble regarder le couperet de la guillotine, alors, il est vrai, qu'ils ne cherchaient que le tableau d'affichage.
Ce n'est pas le danger que j'admire ici, mais la possibilité de séparer la tête du reste du corps. La possibilité du démembrement. Ravaillac écartelé en place publique. Danton décapité. La tête de Jean-Baptiste sur un plateau. Saint Denis exhibant la sienne.
On ne gagne au rugby que soudés les uns aux autres. L'équipe et chaque joueur est à chaque instant sous la menace du démembrement. Et c'est pour ça qu'ils continuent tous, comme si, déjà, ils n'avaient plus de tête.
Je suis un petit poulet et je cherche le ballon, je cours, il rebondit n'importe comment, je ne sais pas où il va, il est ovale, c'est un œuf, je suis un petit poulet et on vient de me briser les vertèbres.
Louis XVI est un grand homme. Il a montré que d'être ainsi séparé en plusieurs parties n'était plus le privilège des croquants. Il a montré que le sang était rouge. Il a créé la démocratie des poulets. C'est pourquoi le rugby, sans sang, ça n'a plus de sens.
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