Perpetual Motion
Jeannie Longo est une momie. Tout en elle s'est racorni. Sa peau est grise, on a, à la regarder, l'impression du carton.
À 52 ans elle vient de remporter son 48ème titre de championne de France. Il n'y a rien de plus triste que Jeannie Longo. Un être qu'il semble impossible d'aimer.
Elle a dépassé l'âge de s'arrêter. Ce n'est plus une carrière, c'est une vie sans fin qui n'a pas de but. Le jour où elle arrêtera il n'y aura plus de vie mais ça ne sera même pas la mort. La mort elle l'a dépassée, elle l'a laissée loin essoufflée dans une côte et maintenant elle trace sa route vers rien, habitant l'éternité comme un manteau trop grand, avec son corps rabougri et ses mains tordues sur le guidon.
Elle est morte sur son vélo et continue à pédaler. Entraînées par la rigidité cadavérique ses jambes appuient de plus en plus fort, l'inertie de la mort est sa puissance.
Les gens ne se lèvent pas sur le bord des routes pour l'acclamer, ou si peu, le cyclisme féminin se joue désormais dans l'indifférence générale. Le cyclisme féminin est Jeannie Longo. Une façon d'être qui effraie, repousse et n'étonne plus.
Dans cette normalité de la course elle a dépassé le spectacle et l'aura de la victoire. Elle a méprisé les dividendes d'une carrière hors norme, elle a méprisé le commun des mortels, elle a refusé de rentrer dans l'histoire, car elle s'est mise hors temps.
On ne peut que lui vouer une admiration de principe, à peine assez pour repousser le malaise qu'elle nous inspire.
Ce qu'on veut c'est une explosion de vie. Même quand le coureur se tue sur la route c'est encore une explosion de vie. Ça nous renvoie à la fragilité des corps, au destin tragique et à l'immense satisfaction d'être encre vivant.
Nous voulons que notre cruauté se repaisse en toute bonne fois. J'aime ce plaisir là.
Jeannie Longo ne donne plus prise à notre cruauté, on ne dévore pas une momie, on ne s'acharne que sur de la chair ; l'éternité est triste quand on ne désire plus que ça.
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