ZINÉ CLUB #4 "The Night of Bleed Romero"
Avec : Lane Carroll, Will Mac Millan, Harold Wayne Jones, Lloyd Hollar.
Après SEASON OF THE WITCH, George Romero revient à un style de cinéma plus proche de LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, le film qui avait lancé sa carrière en 1968. Il se base sur une histoire écrite par un de ses collaborateurs, Paul McCollough, et la façonne à la manière d'un mélange de film catastrophe et de science-fiction. Bénéficiant d'un budget limité, il recrute une troupe de comédiens peu connus, et tourne dans l'état de Pennsylvanie, où il vit et travaille depuis les années 1960.
Dans la paisible petite ville d'Evans City, des évènements étranges se produisent. Un homme tue sa famille et met le feu à sa maison. L'armée américaine prend position dans les rues... Tout cela est la conséquence d'une catastrophe écologique effrayante : un avion militaire, transportant des armes bactériologiques, s'est écrasé dans la région, laissant son dangereux contenu se répandre dans la rivière qui alimente l'agglomération en eau. Le virus "Trixie", très contagieux, a tôt fait de se propager parmi les habitants. Ses effets sont simples : le malade perd la raison, puis meurt. Les autorités mettent la cité en quarantaine, et tentent de rassembler tous les habitants dans le lycée. Mais, par peur de semer la panique, l'armée refuse d'expliquer clairement la situation. Les soldats se heurtent alors aux autochtones, qui ne comprennent pas ce que leur veulent ces soldats aux combinaisons inquiétantes. La situation dégénère de plus en plus violemment. Un groupe de cinq rescapés va tenter de quitter clandestinement la région...
Enfant dans les années 1950, George Romero a souvent déclaré avoir été influencé par les comics horrifiques de cette période d'une part, et par l'âge d'or du cinéma de science-fiction américain d'autre part. Ainsi, LA NUIT DES MORTS-VIVANTS contenait son lot de références aux films d'anticipation, notamment en mettant en scène une invasion généralisée, plongeant les USA dans l'effroi, et menaçant jusqu'à l'existence même du genre humain (LA GUERRE DES MONDES ou LES SOUCOUPES VOLANTES ATTAQUENT...). De même, Romero montrait cette invasion comme une "épidémie", contaminant les personnes, transformant les membres d'une famille unie en des ennemis mortels, comme dans des oeuvres aussi célèbres que LES ENVAHISSEURS DE LA PLANÈTE ROUGE (titre vidéo) ou L'INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES.
Or, comme LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, THE CRAZIES met en scène une infection mystérieuse qui contamine, progressivement, les habitants d'une communauté, les conduisant à adopter des comportements dangereux et sociopathes (matricide ou cannibalisme dans LA NUIT DES MORTS-VIVANTS ; pyromanie ou inceste dans THE CRAZIES). Toutefois, Romero, bénéficiant de moyens relativement plus importants, n'étudie plus seulement un groupe de réfugiés cloîtrés dans une maison, mais nous décrit les réactions des habitants d'une cité entière, confrontés au problème de leur survie...
Le réalisateur-scénariste peut ainsi analyser cette situation extrême, en adoptant, essentiellement, deux points de vue : celui de David, ancien du Vietnam et paisible pompier de Evans City ; celui du colonel Peckem, officier chargé de la mise en quarantaine de la ville. Adoptant un ton grinçant et critique, Romero décrit les manœuvres militaires comme autant de fiascos. Multipliant les procédures tatillonnes, ils ralentissent les recherches des scientifiques susceptibles de trouver un vaccin au virus, ou bien les placent dans des conditions de travail peu favorables. Si certains des officiers font preuve d'un certain sens des responsabilités, les soldats se contentent d'obéir aux ordres, sans se poser de questions sur les conséquences de leurs actes et sans prendre d'initiative personnelle constructive. Plus la situation s'aggrave, plus l'épidémie est gérée de façon désordonnée. Les fantassins maintiennent leur vigilance sur des contrôles inutiles et peu risqués (la reconnaissance d'empreinte vocale du scientifique...), mais, par paresse et par peur d'être contaminés, ils ne cherchent même plus à séparer les malades des habitants sains.
Enfin, la violence, engendrée en partie par une gestion précipitée et maladroite du rassemblement de la population, fait, inévitablement, son apparition. Des américains s'abattent entre eux, et certains habitants d'Evans s'organisent en milices au comportement très brutal. L'ambiance tourne vite au conflit civil, comme le souligne Romero en faisant quelques clins d'œil à la guerre de sécession. Cet affrontement atteint son apogée dans l'absurde lorsque deux amis d'hier se tirent dessus en pleine nuit, ignorant à qui ils sont confrontés.
Ces aberrations trouvent leur source à un même endroit : le gouvernement américain, incapable d'assumer ses actes irresponsables (la fabrication d'armes bactériologiques), gère les situations les plus graves dans le secret et le mensonge. Alignant les choix désastreux, il dresse les citoyens américains les uns contre les autres et, surtout, confie la gestion d'une tragédie sanitaire, non pas à des médecins, mais à des militaires spécialisés dans la répression des émeutes. Sans doute cette solution permet d'éviter les fuites quant aux causes réelles de la maladie, ce qui protège les dirigeants du pays contre un scandale embarrassant. Mais, dès lors, la population malade est sacrifiée. Le titre original, THE CRAZIES (les déments) prend une signification inattendue : les plus fous, les plus irresponsables, ne sont pas forcément ceux que l'on croit.
Source : Devildead.
A PROPOS DE MARTIN Réalisation : George A. Romero.
Avec : John Amplas, Lincoln Maazel, Christine Forrest, Elyane Nadeau.
Si le succès LA NUIT DES MORTS-VIVANTS vaut à son jeune metteur en scène George Romero une grande renommée, la suite de sa carrière n'est pas jouée d'avance. Suite à un imbroglio juridique, le film ne lui rapporte pas réellement d'argent. Il tourne alors un drame (THERE'S ALWAYS VANILLA) et deux films plus orientés vers le fantastique : SEASON OF THE WITCH (titre DVD français) et LA NUIT DES FOUS VIVANTS. Aucun d'entre eux ne marche commercialement…
En 1972, George Romero s'associe au producteur Richard Rubinstein avec lequel il forme Laurel Group, une compagnie indissociable de la carrière du metteur en scène - jusqu'au milieu des années 80 en tous cas. Au sein de cette firme, Romero commence par produire une série de documentaires nommée "THE WINNERS", dédiée à des sportifs célèbres et destinée à la télévision. Ce n'est qu'en 1977 qu'il se remet à tourner un film pour le cinéma : MARTIN...
Romero doit à nouveau composer avec un budget de série B et tourner dans la ville de Pittsburgh où il travaille depuis des années. Le film se fait en 16mm et il donne leur chance à plusieurs personnes qui vont devenir ses collaborateurs réguliers jusqu'au JOUR DES MORTS-VIVANTS - et jusqu’à son échec, échec qui provoquera une rupture réelle dans sa carrière.
Ainsi, nous rencontrons dans MARTIN un jeune comédien nommé Tom Savini, lequel propose à Romero de s'occuper aussi des effets spéciaux sanglants. Tom Savini deviendra sans doute le plus célèbre des maquilleurs "gore" de l'histoire du cinéma par la suite ! Romero confie la caméra à un débutant nommé Michael Gornick, lequel sera son chef-opérateur attitré pour plusieurs années. L'actrice Christine Forrest, qui joue la cousine de Martin, deviendra madame Romero. Le compositeur Donald Rubinstein, dont c'est la première composition professionnelle, collaborera encore par la suite avec le metteur en scène... Le comédien John Amplas, repéré dans un théâtre de Pittsburgh, reviendra régulièrement dans ses films. Bref, MARTIN marque le début d'une "famille Romero" soudée autour de la compagnie Laurel, famille qui va rester unie jusqu'au milieu des années 80, nous offrant des titres classiques tels que ZOMBIE, CREEPSHOW ou LE JOUR DES MORTS-VIVANTS...
Martin, un adolescent timide, agresse des personnes isolées, leur injecte un sédatif puis les tue en les vidant de leur sang ! Sang dont il se sustente goulûment ! Grâce à un modus operandi soigneusement élaboré, il ne s'est jamais fait capturer par la police. Mais l'oncle de Martin est convaincu que le jeune homme est un vampire, espèce répandue au sein de leur famille. Il accueille le jeune homme dans sa maison et envisage de l'exorciser...
MARTIN met donc en scène un vampire des temps modernes, un personnage buvant du sang humain. Le jeune homme est convaincu qu'il a besoin de s'en abreuver pour survivre et nous annonce même qu'il a 84 ans, quand bien même il paraît en avoir moins de vingt ! Toutefois, nous ne sommes plus à l'ère de la Hammer. Certains films comme ROSEMARY'S BABY, L'EXORCISTE ou LA NUIT DES MORTS-VIVANTS ont bouleversé les codes de l'épouvante gothique, faisant basculer ses grandes mythologies dans un cadre réaliste. Avec MARTIN, Romero fait de même. Toutefois, il ne s'agit pas de prendre un vampire classique et de lui faire vivre des aventures dans les années 70, comme cela pouvait être le cas avec DRACULA 73, BLACULA et autres COUNT YORGA, VAMPIRE. Romero dépasse le simple changement de décor et porte un regard nouveau, acerbe sur le mythe des buveurs de sang...
En effet, MARTIN nous apparaît comme un vampire pathologique. Son reflet apparaît dans les miroirs, il ne craint pas les crucifix. Il ne s’agit donc pas d’une créature surnaturelle… Il est en fait un être traumatisé par les superstitions de son entourage, et notamment celles de son oncle. Leur famille, émigrée d'Europe, a apporté aux Etats Unis ses croyances et ses mythologies irrationnelles. Martin, personnage timide et renfermé, se replie alors sur ces superstitions pour se forger son identité, identité vampirique qu'il va même exhiber dans des shows radios auquel il participe par téléphone - anonymement bien sûr…
Tout cela impliquerait que MARTIN ne soit pas vraiment un vampire, mais plutôt un fou. Théorie vers laquelle se tourne volontiers George Romero depuis la sortie du film. Pourtant, il a aussi avoué que, durant le tournage de MARTIN, il ne savait pas trop lui-même si ce personnage était ou non vraiment un vampire... Les deux solutions restent possibles, et c'est au spectateur de se faire son idée, selon sa sensibilité et son point de vue.
MARTIN est aussi et avant tout un film d'ambiance, un film dont se dégage une atmosphère poétique et urbaine des plus insolites. La ville où habite l’oncle est une friche industrielle désolante, surmontée par des clochers d'église anachroniques et les cheminées des usines abandonnées. Tout le monde semble y vivre dans la tristesse. Martin ne parvient à faire l'amour qu'à des femmes qu'il a préalablement endormies. Les autres couples "classiques" qu'il rencontre sont en fait en crise, malheureux ou sur le point de se séparer. Les hommes ne parviennent pas à trouver de travail et ne songent qu’à quitter cette zone industrielle abandonnée.
En fin de compte, dans cet environnement sordide, Martin, quand bien même il est un criminel se livrant à des meurtres particulièrement odieux, nous fait pitié. Coincé entre le passé culturel de sa famille, qui ne voit en lui que l'héritier d'une lignée maudite, et un avenir glauque, pour ne pas dire une absence d’avenir, il tente d'exister comme il peut. C’est-à-dire mal… Fragile, sensible, mélancolique, Martin nous paraît la victime la plus à plaindre du film. Et sans doute est-ce la vraie réussite de ce long métrage : tracer le portrait de ce garçon solitaire et en mal d’amour. La mise en scène et le travail d'écriture de George Romero, comme toujours soignés et imaginatifs, participent à la précision de ce portrait. Mais la belle musique triste de Donald Rubinstein joue aussi un rôle très important dans l'atmosphère de MARTIN et dans la définition de son personnage principal. Surtout, l'interprétation rêveuse de John Amplas, parfait équilibre entre ironie et spleen, s'avère très au-dessus de ce que nous croisons en général dans les séries B américaines. Il trace un portrait de vampire inédit et attachant, et fait de Martin un personnage devenu emblématique au sein du cinéma vampirique...
Certes, à force de vouloir préciser le contexte social et familial de son personnage, MARTIN s'avère parfois monotone, bavard. Il affecte une lenteur qui pourra révulser certains spectateurs. Néanmoins, Romero fait aussi preuve d'un vrai talent de mise en scène lors des séquences de suspens et d'agression : le premier meurtre dans le train, ou l'attaque du couple adultère, longue séquence au cours de laquelle Martin met implacablement au point son piège, piège qui se referme impitoyablement sur ses proies…
Tourné avec très peu de moyens, approchant un sujet difficile, oscillant habilement entre drame, horreur et comédie, MARTIN s'affirme comme une réussite, une réussite que Romero a souvent considérée comme son film préféré parmi ceux qu’il a réalisés. Il est indéniablement son long métrage le plus touchant, le plus humain. En grande partie, répétons-le, grâce à l'interprétation exceptionnelle de John Amplas...
Source : Devildead.
Soirée en partenariat l'Embobineuse / l'Ombre de Marx